Quarantaine

Nous avons connu la quarantaine, le confinement. Des mots qui nous échappaient il y a encore quelques semaines. Au début, les seules sorties autorisées en Espagne étaient limitées au supermarché, à la pharmacie, aux consultations chez le médecin, à l’hôpital ou bien à sortir son chien autour de son pâté de maison. Les rues désertes, les magasins fermés, seuls les pigeons et quelques rares personnes avec leurs courses. La police et les militaires sillonnaient les rues. Ça faisait mal au cœur de voir la ville comme ça. Ça me faisait penser à la guerre, à une cité anéantie après une attaque chimique, une ville zombie.

J’avais des frissons. Le silence. Alors que ma ville est toujours pleine de vie.

Et les milliers de morts partout dans le pays et dans le monde. Des hôpitaux qui ne tiennent plus debout, le système sanitaire débordé qui explose. Pas assez de respirateurs. Il faut choisir, sauver les plus jeunes. C’est terrible. C’est inimaginable. Et nous l’avons vécu.
Ça ne s’est pas passé dans un pays lointain, ce cauchemar a bien eu lieu dans nos immeubles, dans nos quartiers. Sans parler des dégâts économiques pour tellement de familles. Certaines commençaient à respirer pour tomber dans l’abîme de la précarité à nouveau. C’est injuste. Tout ce qui s’est passé est irréel.

J’ai vécu des sensations que je ne connaissais pas. La peur, la vraie, celle qui vous griffe et vous étouffe en même temps à l’intérieur. J’ai eu peur. Le monde s’est paralysé, la mort a fait son apparition dans nos vies, face à ce virus inconnu qui détruit les corps et les familles.
Et puis ensuite, l’insécurité. Qu’allons devenir. Et mon travail, va-t-il s’en ressentir ? Les clients pourront-ils payer les factures envoyées ? Et l’école ? Comment allons-nous faire pour tout concilier à la maison ? Des questions, des questions et encore des questions. L’inconnu. Manque de concentration, angoisse, peur. J’ai tremblé. Littéralement.

Et petit à petit la force revient.

On est restés à la maison, notre château fort. Il fallait se protéger pour protéger les plus vulnérables. Mais aussi continuer à travailler, s’adapter. Je suis devenue traductrice-maîtresse de CM1. On s’est débrouillés. Mon mari s’est chargé des courses, de la maison, du linge, de tout le reste. Nous sommes devenus une vraie équipe et on s’en sort. De toute façon, on n’a pas le choix. Nous sommes ensemble, c’est une victoire déjà. Maintenant, nous pouvons sortir faire du sport, nous promener, les magasins commencent à ouvrir lentement avec de grandes mesures de sécurité. Dans la rue nous sommes quasiment tous masqués. La vie reprend. Les détails sont précieux. Les arbres remplis de feuilles, les fleurs, la mer, les odeurs, le bruit qui revient petit à petit. Les sourires dévoilés dans les petites rides autour de nos yeux.
Mais allons-y doucement. Beaucoup croient que le pire est passé, mais cela dépend en grande partie de nous. Nous devons suivre les indications, respecter les distances. Je vois chaque jour de nombreux inconscients qui ne pensent qu’à eux et qui semblent avoir oublié. C’est un manque de respect. C’est une insulte.

Voilà. Nous sommes face à une réalité que personne n’aurait pu imaginer. C’est un chamboulement, un séisme, un cauchemar. Mais nous allons y arriver. Ensemble.

À bientôt,
Barbara Figueroa Savidan